Ce nouvel abécédaire concerne les philosophes et auteurs divers.
Le texte est à votre convenance : biographie de l’auteur, extrait d’une de ses oeuvres, ou simplement ses écrits ou une citation.
Vous pouvez également mettre vos impressions si vous avez lu un de ses livres.
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Violette Wawerinitz-Ruer
Rendez-vous proposer à l’initiale par Violette du blog Histoire de mots
Bien que ce rendez-vous soit terminé, je poursuit mon abécédaire concernant les philosophes et auteurs divers car je l’ai découvert en cours de route, puis parce qu’il me plaît.
Étant donné que j’ai commencé l’abécédaire à la lettre S, je finis aujourd’hui par le R…
R comme Jean-Jacques Rousseau
Jean-Jacques Rousseau, né le 28 juin 1712 à Genève, mort le 2 juillet 1778 (à 66 ans) à Ermenonville, est un écrivain, philosophe et musicien francophone. Orphelin très jeune, sa vie est marquée par l’errance. Si ses livres et lettres connaissent à partir de 1749 un fort succès, ils lui valent aussi des conflits avec l’Église catholique et Genève qui l’obligent à changer souvent de résidence et alimentent son sentiment de persécution. Après sa mort, son corps est transféré au Panthéon de Paris en 1794.
Dans le domaine littéraire, Jean-Jacques Rousseau connaît un grand succès avec le roman épistolaire Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), un des plus gros tirages du xviiie siècle. Cet ouvrage séduit ses lecteurs d’alors par sa peinture préromantique du sentiment amoureux et de la nature. Dans Les Confessions (rédigées entre 1765 et 1770, avec publication posthume en 1782 et 1789) et dans Les Rêveries du promeneur solitaire (écrites en 1776-1778, publiées en 1782), Rousseau se livre à une observation approfondie de ses sentiments intimes. L’élégance de l’écriture de Rousseau provoque une transformation significative de la poésie et de la prose françaises en les libérant des normes rigides venues du Grand Siècle.
Dans le domaine philosophique, la lecture en 1749 de la question mise au concours par l’Académie de Dijon : « le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ? » provoque ce qu’on appelle « l’illumination de Vincennes ». De là naissent les ouvrages qui inscrivent durablement Rousseau dans le monde de la pensée : le Discours sur les sciences et les arts (1750), le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) et Du contrat social (1762).
La philosophie politique de Rousseau est bâtie autour de l’idée que l’homme est naturellement bon et que la société le corrompt. Par « naturellement bon », Rousseau entend que l’être humain à l’état de nature a peu de désirs de sorte qu’il est plus farouche que méchant. Ce sont les interactions avec les autres individus qui rendent les êtres humains « méchants » et conduisent à l’accroissement des inégalités. Pour retrouver une bonté naturelle, l’homme doit avoir recours à l’artifice du contrat social et être gouverné par des lois découlant de la volonté générale exprimée par le peuple. Pour Rousseau, contrairement à ce que pense par exemple Diderot, la volonté générale n’est pas universelle, elle est propre à un État, à un corps politique particulier. Rousseau est le premier à conférer la souveraineté au peuple. En cela, on peut dire que c’est un des penseurs de la démocratie même s’il est favorable à ce qu’il nomme l’aristocratie élective ou le gouvernement tempéré.
Rousseau est critique par rapport à la pensée politique et philosophique développée par Hobbes et Locke. Pour lui, les systèmes politiques basés sur l’interdépendance économique et sur l’intérêt conduisent à l’inégalité, à l’égoïsme et finalement à la société bourgeoise (un terme qu’il est un des premiers à employer). Toutefois, s’il est critique de la philosophie des Lumières, il s’agit d’une critique interne. En effet, il ne veut revenir ni à Aristote, ni à l’ancien républicanisme ou à la moralité chrétienne.
La philosophie politique de Rousseau exerce une influence considérable lors de la période révolutionnaire durant laquelle son livre le Contrat social est « redécouvert ». À plus long terme, Rousseau marque le mouvement républicain français ainsi que la philosophie allemande. Par exemple, l’impératif catégorique de Kant est imprégné par l’idée rousseauiste de volonté générale. Durant une partie du xxe siècle, une controverse opposera ceux qui estiment que Rousseau est en quelque sorte le père des totalitarismes et ceux qui l’en exonèrent.
Biographie
Raymond Trousson, dans la biographie qu’il consacre à Jean-Jacques Rousseau, indique que la famille est originaire de Montlhéry, près d’Étampes, au sud de Paris. L’aïeul de Jean-Jacques, Didier Rousseau, quitte cette ville pour fuir la persécution religieuse contre les protestants. Il s’installe à Genève en 1549 où il ouvre une auberge. Son petit-fils Jean Rousseau tout comme son fils Didier Rousseau (1641-1738), le grand-père de Rousseau, exercent le métier d’horloger, profession alors respectée et lucrative.
Jean-Jacques Rousseau est né le 28 juin 1712 au domicile de ses parents situé Grand-Rue dans la ville haute de Genève. Il est le fils d’Isaac Rousseau (Genève, 1672 – Nyon, 1747), horloger comme son père et son grand-père, et de Suzanne Bernard (Genève, 1673 – Genève, 1712), elle-même fille d’un horloger nommé Jacques Bernard. Ses parents se marient en 1704, après qu’une première union a réuni les deux familles, le frère de Suzanne, Gabriel Bernard, ayant épousé la sœur d’Isaac, Théodora Rousseau, en 1699. Un premier garçon, François, naît le 15 mars 1705, puis Isaac laisse femme et nouveau-né à Genève pour aller exercer son métier d’horloger à Constantinople. Il y reste six ans et revient au foyer en 1711, le temps d’avoir un deuxième enfant avec sa femme, qui décède de fièvre puerpérale le 7 juillet 1712, neuf jours après la naissance de Jean-Jacques Rousseau.
Isaac Rousseau, membre de la petite minorité de Genevois bénéficiant du rang de citoyen, a un caractère parfois violent. À la suite d’une altercation avec un compatriote, il se réfugie à Nyon dans le canton de Vaud, le 11 octobre 1722, pour échapper à la justice. Il ne revient jamais à Genève, mais conserve quelques contacts avec ses fils, notamment Jean-Jacques qui fait régulièrement le voyage à Nyon et à qui il communique sa passion pour les livres. Il confie sa progéniture à son double beau-frère Gabriel Bernard. À partir de l’âge de dix ans, Rousseau est donc élevé par son oncle Gabriel, un pasteur protestant qu’il prend pour son grand-père, et sa tante Théodora. Son frère, François, quitte le domicile très tôt et l’on perd sa trace en Allemagne, dans la région de Fribourg-en-Brisgau. Rousseau est confié en pension au pasteur Lambercier à Bossey au pied du Salève, au sud de Genève, où il passe deux ans (1722-1724) en compagnie de son cousin Abraham Bernard.
Son oncle le place ensuite en apprentissage chez un greffier, puis, devant le manque de motivation de l’enfant, chez un maître graveur, Abel Ducommun. Le contrat d’apprentissage est signé le 26 avril 1725 pour une durée de cinq ans. Jean-Jacques, qui avait connu jusque là une enfance heureuse, ou tout au moins paisible, est alors confronté à une rude discipline. Le 14 mars 1728, rentrant tardivement d’une promenade à l’extérieur de la ville et trouvant les portes de Genève fermées, il décide de fuir, par crainte d’être à nouveau battu par son maître, non sans avoir fait ses adieux à son cousin Abraham.
Madame de Warens et la conversion au catholicisme
Après quelques journées d’errance, il se réfugie par nécessité alimentaire auprès du curé de Confignon, Benoît de Pontverre. Celui-ci l’envoie chez une Vaudoise de Vevey, la baronne Françoise-Louise de Warens, récemment convertie au catholicisme, et qui s’occupe des candidats à la conversion. Rousseau s’éprend de celle qui sera plus tard sa tutrice et sa maîtresse. La baronne l’envoie à Turin à l’hospice des catéchumènes de Spirito Santo où il arrive le 12 avril 1728. Même s’il prétend dans ses Confessions avoir longuement résisté à sa conversion au catholicisme (il est baptisé le 23 avril), il semble s’en accommoder assez vite. Il réside quelques mois à Turin en semi-oisif, vivotant grâce à quelques emplois de laquais-secrétaire et recevant conseils et subsides de la part d’aristocrates et abbés auxquels il inspire quelque compassion. C’est lors de son emploi auprès de la comtesse de Vercellis que survient l’épisode du larcin (vol du ruban rose appartenant à la nièce de Mme de Vercellis) dont il fait lâchement retomber la faute sur une jeune cuisinière qui est, de ce fait, renvoyée.
Désespérant de pouvoir s’élever de sa condition, Rousseau décourage ses protecteurs et reprend, le cœur léger, le chemin de Chambéry pour retrouver la baronne de Warens en juin 1729. Adolescent timide et sensible, il est à la recherche d’une affection féminine qu’il trouve auprès de la baronne. Il est son « petit », il la nomme « Maman », et devient son factotum. Comme il s’intéresse à la musique, elle l’encourage à se placer auprès d’un maître de chapelle, M. Le Maître, en octobre 1729. Mais lors d’un voyage à Lyon, Rousseau, affolé, abandonne en pleine rue Le Maître frappé d’une crise d’épilepsie. Il erre ensuite une année en Suisse où il donne ses premières leçons de musique à Neuchâtel en novembre 1730. En avril 1731, il rencontre à Boudry un faux archimandrite dont il devient l’interprète jusqu’à ce que l’escroc soit assez rapidement démasqué.
En septembre 1731, il retourne auprès de Mme de Warens. Il rencontre chez elle Claude Anet, sorte de valet-secrétaire, mais qui est aussi amant de la maîtresse de maison. Mme de Warens est à l’origine d’une grande partie de son éducation sentimentale et amoureuse. Le ménage à trois fonctionne tant bien que mal jusqu’au décès de Claude Anet d’une pneumonie le 13 mars 1734. « Maman » et Jean-Jacques s’installent pendant l’été et l’automne aux Charmettes. Pendant ces quelques années, idylliques et insouciantes selon ses Confessions, Rousseau s’adonne à la lecture en puisant dans l’importante bibliothèque de M. Joseph-François de Conzié avec laquelle il va se fabriquer « un magasin d’idées ». Grand marcheur, il décrit le bonheur d’être dans la nature, le plaisir lié à la flânerie et la rêverie, au point d’être qualifié de dromomane. Il travaille aux services administratifs du cadastre du duché de Savoie, puis comme maître de musique auprès des jeunes filles de la bourgeoisie et de la noblesse chambériennes. Mais sa santé est fragile. « Maman » l’envoie en septembre 1737 consulter un professeur de Montpellier, le docteur Fizes, sur son polype au cœur. C’est au cours de ce voyage qu’il fait la connaissance de Madame de Larnage âgée de vingt ans de plus que lui, mère de dix enfants, sa vraie initiatrice à l’amour physique.
De retour à Chambéry, il a la surprise de trouver auprès de Madame de Warens un nouveau converti et amant, Jean Samuel Rodolphe Wintzenried, et le ménage à trois reprend. En 1739, il écrit son premier recueil de poèmes, Le Verger de Madame la baronne de Warens, poésie grandiloquente éditée en 1739 à Lyon ou Grenoble.
Premiers contacts avec le monde des Lumières françaises
Rousseau entre dans l’orbite de deux figures importantes des Lumières, Condillac et d’Alembert, lorsqu’en 1740, il trouve un emploi de précepteur auprès des deux fils du prévôt général de Lyon, M. de Mably. Ce dernier est le frère aîné de Gabriel Bonnot de Mably et d’Étienne Bonnot de Condillac qui feront tous deux une carrière littéraire. Rousseau compose pour le plus jeune des deux fils un Mémoire présenté à M. de Mably sur l’éducation de Monsieur son fils. Ayant ainsi l’occasion de fréquenter la bonne société lyonnaise, il s’y gagne quelques amitiés, notamment celle de Charles Borde qui l’introduira dans la capitale. Chambéry est proche et il peut rendre quelques visites à « Maman », mais les liens sont distendus. Après une année difficile auprès de ses jeunes élèves, Rousseau s’accorde avec M. de Mably pour mettre fin au contrat. Après quelque temps de réflexion, il décide alors de tenter sa chance à Paris.
À Paris, grâce à une lettre d’introduction auprès de M. de Boze, il est présenté à Réaumur, qui lui permet de soumettre à l’Académie des sciences un mémoire présentant son système de notation musicale. Celui-ci prévoit la suppression de la portée et de la remplacer par un système chiffré. Les académiciens ne sont pas convaincus par le projet qui, selon eux, ne serait pas nouveau, l’inventeur étant le père Souhaitty. Rousseau s’obstine, améliore son projet et le fait publier à ses frais, sans rencontrer le succès espéré, sous le titre de Dissertation sur la musique moderne. À cette époque, il se lie d’amitié avec Denis Diderot, tout aussi méconnu que lui, et reçoit les conseils du père Castel. Il fréquente le salon de Madame de Beserval, et de Madame Dupin qu’il tente vainement de séduire. Elle lui confie durant quelque temps l’éducation de son fils[10] Jacques-Armand Dupin de Chenonceaux, en 1743.
En juillet 1743, Rousseau est engagé comme secrétaire de Pierre-François, comte de Montaigu, qui vient d’être nommé ambassadeur à Venise. Sa connaissance de l’italien et son zèle le rendent indispensable auprès d’un ambassadeur incompétent. Il apprécie la vie animée de Venise : spectacles, prostituées et par-dessus tout la musique italienne. Mais l’importance qu’il se donne le rend arrogant et Montaigu le congédie au bout d’un an. Il est de retour à Paris le 10 octobre 1744. Cette courte expérience lui a néanmoins permis d’observer le fonctionnement du régime vénitien et c’est à ce moment, alors qu’il a 31 ans, que s’éveille son intérêt pour la politique. Il conçoit alors le projet d’un grand ouvrage qui s’intitulerait Les Institutions politiques mais qui deviendra le fameux Du contrat social. Il y travaille de temps à autre pendant plusieurs années.
Il s’installe alors à l’hôtel Saint-Quentin, rue des Cordiers, où il se met en ménage avec une jeune lingère, Marie-Thérèse Le Vasseur, en 1745. Cette dernière lui apporte l’affection qui lui manque. Il l’épouse civilement à Bourgoin-Jallieu le 30 août 1768. Jean-Jacques doit alors supporter non seulement une femme bavarde mais aussi la famille de celle-ci. Entre 1747 et 1751 naîtront cinq enfants que Jean-Jacques Rousseau, peut-être sur l’insistance de la mère de Marie-Thérèse, fait placer aux Enfants-Trouvés, l’assistance publique de l’époque. Il explique d’abord qu’il n’a pas les moyens d’entretenir une famille, puis au livre 8 des Confessions, il écrit qu’il a livré ses enfants à l’éducation publique en considérant cela comme un acte de citoyen, de père, et d’admirateur de République idéale de Platon. Au livre suivant des Confessions, il écrit également qu’il fit ce choix principalement pour soustraire ses enfants à l’emprise de sa belle-famille, qu’il jugeait néfaste. Cette décision lui sera reprochée plus tard par Voltaire, alors qu’il se pose en pédagogue dans son livre Émile, et aussi par ceux qu’il appelle la « coterie holbachique » (l’entourage de d’Holbach, Grimm, Diderot, etc.). Cependant, certains de ses amis, dont Madame d’Épinay avant qu’elle se brouille avec lui, avaient proposé d’adopter ces enfants.
En mai 1743, il commence la composition d’un ballet héroïque, Les Muses galantes, dont des extraits sont présentés à Venise en 1744. En 1745, Rameau qui écoute des morceaux des Muses galantes chez un fermier général juge que « certains sont d’un apprenti, d’autres d’un plagiaire ». Pour la victoire de Fontenoy, il contribue à la création de la comédie-ballet du duo Voltaire-Rameau, les Fêtes de Ramire, basée sur La Princesse de Navarre de Voltaire accompagnée de la musique de Rameau. Il gagne sa vie en exerçant les fonctions de secrétaire, puis de précepteur chez les Dupin de 1745 à 1751. Le cercle de ses fréquentations compte dès lors Dupin de Francueil, sa maîtresse Louise d’Épinay, Condillac, d’Alembert, Grimm et surtout Denis Diderot. En 1749, Diderot l’invite à participer au grand projet de l’Encyclopédie en lui confiant les articles sur la musique.
Célébrité et tourments
En 1749, l’Académie de Dijon met au concours la question « Le progrès des sciences et des arts a-t-il contribué à corrompre ou à épurer les mœurs ? » Encouragé par Diderot, Rousseau participe au concours. Son Discours sur les sciences et les arts (dit Premier Discours) qui soutient que le progrès est synonyme de corruption, obtient le premier prix, en juillet 1750. L’ouvrage est publié l’année suivante et son auteur acquiert immédiatement une célébrité internationale. Ce discours suscite de nombreuses réactions ; pas moins de 49 observations ou réfutations paraissent en deux ans, parmi lesquelles celles de Charles Borde, l’abbé Raynal, jusqu’à Stanislas Leszczynski ou Frédéric II, ce qui permet à Rousseau d’affiner son argumentation dans ses réponses et lui apporte une notoriété grandissante.
Il abandonne alors ses emplois de secrétaire et précepteur pour se rendre indépendant, et vit grâce à ses travaux de transcription de partitions musicales ; il adopte une attitude physique et vestimentaire plus en harmonie avec les idées développées dans le Discours. Mais ce sont ces idées qui vont l’éloigner progressivement de Diderot et des philosophes de l’Encyclopédie.
Le 18 octobre 1752, son intermède en un acte, Le Devin du village est représenté devant le roi Louis XV et la Pompadour, à Fontainebleau. L’opéra est un succès, mais Rousseau se dérobe le lendemain à la présentation au roi, refusant de ce fait la pension qui aurait pu lui être accordée. Il fait jouer immédiatement après sa pièce Narcisse, à laquelle Marivaux avait apporté quelques retouches.
Cette année 1752 voit le début de la Querelle des Bouffons. Rousseau y prend part auprès des encyclopédistes en rédigeant sa Lettre sur la musique française, dans laquelle il affirme la primauté de la musique italienne sur la musique française, celle de la mélodie sur l’harmonie, écorchant au passage Jean-Philippe Rameau.
En 1754, l’Académie de Dijon lance un autre concours auquel il répond par son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (également appelé Second Discours), qui achève de le rendre célèbre. Rousseau y défend la thèse selon laquelle l’homme est naturellement bon et dénonce l’injustice de la société. L’œuvre suscite, comme le Premier Discours, une vive polémique de la part notamment de Voltaire, Charles Bonnet, Castel et Fréron. Sans attendre le résultat du concours, il décide de se ressourcer à Genève, non sans rendre au passage une visite à sa vieille amie, Mme de Warens. Célèbre et admiré, il est bien accueilli. Dans le domaine des idées, Rousseau s’éloigne des encyclopédistes athées qui croient au progrès, alors que lui prône la vertu et l’amour de la nature. Il reste fondamentalement croyant, mais abjure le catholicisme et réintègre le protestantisme, redevenant par là citoyen de Genève. Toutefois, il ne reste que quelques mois dans la cité. Le 15 octobre, il est de nouveau à Paris.
Grandes œuvres et intégration sociale
Rousseau ne s’adresse plus seulement à la société bourgeoise comme les artistes de cour ou les érudits des siècles précédents. Il n’a de cesse de s’adresser à un autre public, différent de celui de la haute société qui hante les salons littéraires. Progressivement, sa célébrité devient « funeste » selon ses propres termes, cette célébrité qu’il a cherchée comme une arme sociale se retourne contre lui, et il entre dans une paranoïa, confronté à la personnalité publique qu’est devenu « Jean-Jacques », celui que les gens veulent voir, rencontrer et dont des portraits circulent. En avril 1756, Mme d’Épinay met à sa disposition l’Ermitage, une maisonnette située à l’orée de la forêt de Montmorency. Il s’y installe avec Thérèse Levasseur et la mère de celle-ci puis commence à rédiger son roman Julie ou la Nouvelle Héloïse et son Dictionnaire de la musique. Il entreprend aussi, à la demande de Mme d’Épinay, la mise en forme des œuvres de l’abbé de Saint-Pierre. Au début de 1757, Diderot envoie à Rousseau son drame Le Fils naturel, dans lequel se trouve la phrase « L’homme de bien est dans la société, il n’y a que le méchant qui soit seul ». Rousseau prend cette réplique pour un désaveu de ses choix et il s’ensuit une première dispute entre les amis.
Au cours de l’été, Diderot éprouve des difficultés pour faire paraître l’Encyclopédie à Paris. Ses amis Grimm et Saint-Lambert sont enrôlés dans la guerre de Sept Ans. Ils confient au vertueux Rousseau leurs maîtresses respectives, Mme d’Épinay et Mme d’Houdetot. Jean-Jacques tombe amoureux de cette dernière, entrainant une idylle vraisemblablement platonique, mais, du fait de maladresses et d’indiscrétions, les rumeurs vont bon train jusqu’aux oreilles de l’amant. Rousseau en accuse successivement ses amis Diderot, Grimm et Mme d’Épinay qui vont définitivement lui tourner le dos. Mme d’Épinay lui signifie son congé, et il doit quitter l’Ermitage en décembre. Il part s’installer à Montmorency où il loue la maison qui deviendra son Musée en 1898.
Dans sa Lettre à M. d’Alembert (1758) il s’oppose à l’idée que défendait ce dernier selon laquelle Genève aurait intérêt à construire un théâtre, en arguant du fait que cela affaiblirait l’attachement des citoyens à la vie de la cité.
Isolé à Montmorency et atteint de la maladie de la pierre, il devient bourru et misanthrope. Il gagne toutefois l’amitié et la protection du maréchal de Luxembourg et de sa deuxième épouse. Il reste cependant très jaloux de son indépendance, ce qui lui laisse le temps d’exercer une intense activité littéraire. Il achève son roman Julie ou la Nouvelle Héloïse, qui obtient un immense succès, et travaille à ses essais Émile ou De l’éducation et Du contrat social. Les trois ouvrages paraissent en 1761 et 1762, grâce à la complaisance de Malesherbes, alors directeur de la Librairie. Dans La Profession de foi du vicaire savoyard, placée au cœur de l’Émile, Rousseau réfute autant l’athéisme et le matérialisme des Encyclopédistes que l’intolérance dogmatique du parti dévot. Dans Le Contrat Social, le fondement de la société politique repose sur la souveraineté du peuple et l’égalité civique devant la loi, expression de la volonté générale. Ce dernier ouvrage inspirera l’idéologie pré-révolutionnaire. Si l’Émile et le Contrat social, marquent le sommet de la pensée de Rousseau, ils isolent cependant leur auteur. En effet, le Parlement de Paris et les autorités de Genève estiment qu’ils sont religieusement hétérodoxes et les condamnent. Menacé de prise de corps par la Grande Chambre du Parlement de Paris en juin 1762, il doit fuir seul la France, avec l’aide du maréchal de Luxembourg ; Thérèse le rejoindra plus tard. Il évite Genève et se réfugie à Yverdon chez son ami Daniël Roguin. Si sa condamnation à Paris est surtout due à des motifs religieux, c’est le contenu politique du Contrat Social qui lui vaut la haine de Genève. Berne suit Genève et prend un décret d’expulsion. Rousseau doit quitter Yverdon et se rend à Môtiers auprès de Madame Boy de la Tour. Môtiers est situé dans la principauté de Neuchâtel qui relève de l’autorité du roi de Prusse Frédéric II. Ce dernier accepte d’accorder l’hospitalité au proscrit.
Face aux religions et à Voltaire
Les malheurs de Rousseau n’ont pas attendri les philosophes et ceux-ci continuent à l’accabler, notamment Voltaire et D’Alembert. Physiquement, la maladie de la pierre le fait souffrir et il doit être régulièrement sondé. C’est alors qu’il adopte un long vêtement arménien, plus commode pour cacher son affection. Il se remet à écrire un mélodrame, Pygmalion puis une suite à L’Émile, Émile et Sophie, ou les solitaires qui restera inachevée.
L’Émile est mis à l’Index en septembre 1762 et Christophe de Beaumont, archevêque de Paris lance l’anathème contre les idées professées par Le Vicaire savoyard. Rousseau y répond par une Lettre à Christophe de Beaumont qui paraîtra en mars 1763, libelle dirigé contre l’Église romaine. Toutefois son ton volontairement « antipapiste » ne calme pas les ardeurs des pasteurs protestants de Genève qui mènent une lutte sourde contre les amis de Jean-Jacques, qui cherchent vainement à le réhabiliter. Fatigué, Rousseau va finir par renoncer le 12 mai 1763 à la citoyenneté genevoise. Entretemps il se passionne pour la botanique et fait publier son Dictionnaire de la musique, fruit de seize années de travail.
Le conflit devient politique avec la publication des Lettres de la campagne de Jean-Robert Tronchin, procureur général auprès du Petit Conseil de Genève, auquel Rousseau réplique par ses Lettres de la montagne où il prend position en faveur du Conseil général, représentant le peuple souverain, contre le droit de veto du Petit Conseil. Les lettres sont publiées en décembre 1764, mais sont brûlées à La Haye et Paris, interdites à Berne. C’est le moment que choisit Voltaire pour publier anonymement Le Sentiment des citoyens où il révèle publiquement l’abandon des enfants de Rousseau. Le pasteur de Môtiers, Montmollin, qui avait accueilli Jean-Jacques lors de son arrivée, cherche alors à l’excommunier avec le soutien de la « Vénérable Classe de ses confrères de Neuchâtel ». Mais Rousseau est protégé par un rescrit de Frédéric II[61]. Il passe toutefois pour un séditieux et la population rameutée par Montmollin devient si menaçante que, le 10 septembre 1765, Jean-Jacques se réfugie provisoirement dans l’île Saint-Pierre sur le lac de Bienne, d’où le gouvernement bernois l’expulse le 24 octobre. Avant de partir, Jean-Jacques Rousseau confie à son ami Du Peyrou une malle contenant tous les papiers qu’il possédait (manuscrits, brouillons, lettres et copies de lettres).
Années d’errance
Rousseau, dès lors, vit dans la hantise d’un complot dirigé contre lui et décide de commencer son œuvre autobiographique en forme de justification. Il gagne Paris où il séjourne en novembre et décembre 1765 au Temple qui bénéficie de l’exterritorialité. Rousseau est également sous la protection du prince de Conti qui lui permet de recevoir des visiteurs de marque. À l’invitation de David Hume, attaché à l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris, il gagne l’Angleterre le 4 janvier 1766. Thérèse le rejoint plus tard. Durant son séjour en Angleterre son instabilité mentale croît et il se persuade que David Hume est au centre d’un complot contre lui. C’est à cette époque que circule dans les salons parisiens une fausse lettre du roi de Prusse adressée à Rousseau. Elle est bien tournée mais peu charitable à son égard. L’auteur est Horace Walpole, mais Rousseau l’attribue dans un premier temps à D’Alembert, puis soupçonne Hume de tremper dans le complot. Hume a fréquenté à Paris les Encyclopédistes qui ont pu le mettre en garde contre Rousseau. Ce dernier, hypersensible et soupçonneux, se sent persécuté. Après six mois de séjour en Angleterre, la rupture est complète entre les deux philosophes, chacun se justifiant par des écrits publics, ce qui génère un véritable scandale dans les Cours européennes. Les ennemis de Rousseau, au premier rang desquels Voltaire, jubilent, alors que ses amis, qui l’ont poussé à confier son destin à Hume, sont consternés par la tournure des évènements.
Durant son séjour anglais, il réside du 22 mars 1766 au 1er mai 1767 chez Richard Davenport qui a mis à la disposition du citoyen de Genève sa propriété de Wootton Hall dans le Staffordshire. C’est là qu’il écrit les premiers chapitres des Confessions. La façon dont il traite dans ses écrits Diderot, Friedrich Melchior Grimm, atteste de sa paranoïa.
En mai 1767, toujours sous la menace d’une condamnation par le Parlement, Rousseau regagne la France sous le nom d’emprunt de Jean-Joseph Renou, nom de jeune fille de la mère de Thérèse. Pendant un an, il est hébergé par le prince de Conti au château de Trye, près de Gisors dans l’Oise. Le séjour est particulièrement angoissant pour Rousseau qui en vient à soupçonner ses amis, y compris le fidèle DuPeyrou, venu lui rendre visite.
Le 14 juin 1768, il quitte Trye et va errer quelque temps en Dauphiné autour de Grenoble. Thérèse le rejoint à Bourgoin où le 29 août, et pour la première fois, il la présente au maire de la ville comme sa femme. Il reprend son nom et s’installe à la ferme Monquin à Maubec. Il décide de quitter le Dauphiné le 10 avril 1770, séjourne quelques semaines à Lyon, et arrive à Paris le 24 juin 1770 où il loge à l’hôtel Saint-Esprit, rue Plâtrière.
À Paris, il survit grâce à ses travaux de copiste de partitions de musique. Il organise des lectures de la première partie des Confessions dans des salons privés devant des auditoires silencieux et gênés face à cette âme mise à nu. Ses anciens amis craignant des révélations, Mme d’Épinay fait interdire ces lectures par Antoine de Sartine, alors lieutenant-général de police.
Dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne, qu’il rédige alors, il condamne la politique russe de démantèlement de la Pologne. Cette prise de position accroît sa marginalité, la plupart des philosophes des Lumières françaises admirant alors Catherine II. Il poursuit l’écriture des Confessions et entame la rédaction des Dialogues, Rousseau juge de Jean-Jacques[74]. Ne pouvant les publier sans susciter de nouvelles persécutions, il tente de déposer le manuscrit sur l’autel de Notre-Dame, mais la grille fermée lui en empêche l’accès. En désespoir de cause, il va jusqu’à distribuer aux passants des billets justifiant sa position.
C’est aussi l’époque où il herborise, activité qu’il partage avec Malesherbes, ce qui rapproche les deux hommes. Il écrit à l’adresse de Mme Delessert, sous forme de lettres, un cours de botanique destiné à sa fille Madelon, les Lettres sur la botanique. Les Rêveries du promeneur solitaire, ouvrage inachevé, sont rédigées au cours de ses deux dernières années, entre 1776 et 1778. Ces dernières œuvres ne seront publiées qu’après sa mort. À cette date, Il entretient aussi une correspondance avec le compositeur d’opéra Gluck.
Décès
En 1778, le marquis de Girardin lui offre l’hospitalité, dans un pavillon de son domaine du Château d’Ermenonville, près de Paris ; c’est là que l’écrivain philosophe meurt subitement le 2 juillet 1778, de ce qui semble avoir été un accident vasculaire cérébral. Certains ont avancé l’hypothèse d’un suicide, créant une controverse sur les circonstances de la mort du philosophe.
Le lendemain de sa mort, le sculpteur Jean-Antoine Houdon moule son masque mortuaire. Le 4 juillet, le marquis René-Louis de Girardin fait inhumer le corps dans l’île des Peupliers de la propriété. La tombe érigée à la hâte par le marquis de Girardin est remplacée en 1780 par le monument funéraire actuel dessiné par Hubert Robert, exécuté par J.-P. Lesueur : un sarcophage sculpté, sur ses quatre côtés, de bas-reliefs représentant une femme donnant le sein et lisant l’Émile, ainsi que plusieurs allégories de la liberté, de la musique, de l’éloquence, de la nature et de la vérité. Sur le fronton, un cartouche d’où pend une guirlande de palmes porte la devise de Rousseau « vitam impendere vero » (« consacrer sa vie à la vérité »). La face nord porte l’épitaphe « ici repose l’homme de la Nature et de la Vérité ». Le philosophe est rapidement l’objet d’un culte, et sa tombe est assidûment visitée.
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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